Dernière mise à jour : 18 septembre 2023
Article 1 : Conditionner la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle à un niveau minimal de français
Situation actuelle : Quand une personne étrangère a obtenu un titre de séjour d’un an, au moment de son renouvellement elle peut alors demander une carte de séjour pluriannuelle, qui est généralement de 4 ans.
Pour cela il faut :
- Apporter la preuve que la personne a rempli le « CIR », Contrat d’Intégration Républicaine (formation civique de 4 jours, étalée sur 4 mois)
- Avoir suivi les cours de français qui lui ont été proposés, s’il n’avait pas déjà le « niveau A1 » (qui correspond au niveau élémentaire de maîtrise de la langue française).
Ce qui est prévu dans le projet de loi : Le gouvernement souhaite rajouter une condition : les personnes étrangères devront apporter la preuve d’un niveau de français minimum, déterminé par décret en Conseil d’État.
Questionnements et analyse : Cette restriction peut sembler secondaire, à première vue, mais a un impact fort : obtenir un renouvellement d’un an au lieu de 4 va imposer à la personne de refaire la démarche complète, coûteuse et fastidieuse, chaque année. Le timbre fiscal est de 225€ par personne. Pour un couple, cela représente un surcout potentiel de 1350€ (450€ x3).
Le niveau d’études et les capacités d’apprentissages des personnes étrangères ne sont pas uniformes, certaines auront besoin d’un accompagnement renforcé qui est déjà pris en compte, mais certains centres agréés sont déjà saturés et n’ont pas les moyens de proposer toutes les heures requises la première année.
Les personnes étrangères qui viennent d’obtenir un titre de séjour ont avant tout l’objectif de pouvoir travailler afin d’arriver à une indépendance financière. Il est le plus souvent impossible de cumuler emploi et formation linguistique, les horaires de cours des centres agréés n’étant pas compatibles avec les horaires de travail. Cette mesure risque donc d’aboutir à une discrimination des personnes les plus vulnérables. Enfin, fixer le niveau de langue exigé par décret en Conseil d’État est trop imprécis, cette donnée a un impact fondamental sur la portée de cette mesure, et nous semble devoir être fixée et validée par les assemblées afin que cette mesure soit votée en toute objectivité.
L’exigence d’un niveau de langue n’est légitime que si les conditions d’apprentissage de ce niveau sont réunies. Si l’objectif est d’optimiser l’intégration, la première chose à faire est d’évaluer si les centres de formation linguistiques ont les moyens nécessaires pour remplir leur mission.
Article 2 : Mettre à la charge de l’employeur une obligation de formation à la langue française – SUPPRIMÉ PAR LE SENAT
L’objectif était de permettre aux employeurs de proposer des formations en français pour leurs salariés, considérées comme du temps de travail et financés dans le cadre du CPF (compte personnel de formation), donc partiellement financé par les employeurs.
Cette proposition a été retoquée par le Sénat, qui considère que les possibilités de formation sont déjà suffisantes (ce qui n’est pas le cas) et qui ne voulait pas faire supporter le coût de ces formations aux employeurs (probablement sous pression du patronat).
Article 2 bis, ajouté par le Sénat : Resserrement des conditions d’acquisition de la nationalité́ au titre du « droit du sol »
La nationalité française peut être octroyée ou acquise dans les cas suivants :
- Un des parents au moins est Français
- Naissance en France, et un de ses parents au moins est né en France
- Par décret de naturalisation
- Par déclaration : pour un mineur étranger né en France de parents étrangers, à compter de l’âge de 13 ans s’il réside en France depuis l’âge de 8 ans ;
- De plein droit, pour les mineurs étrangers nés en France, à leur majorité s’ils ont résidé en France cinq ans depuis l’âge de 11 ans
Le Sénat a considéré que ces moyens constituaient un « facteur d’attractivité » et ont apporté 2 modifications :
- L’acquisition de la nationalité française, pour les mineurs étrangers nés en France, ne serait plus de plein droit et automatique, ils devront, à partir de 16 ans, avoir « manifesté leur volonté » d’acquisition de la nationalité française (et toujours résider dans le pays depuis 5 ans).
- Refus de la nationalité si le mineur a eu une condamnation pénale (égale ou supérieure à 6 mois d’emprisonnement, sans sursis).
Article 3 : Carte de séjour temporaire « métiers en tension »
Situation actuelle : La « régularisation par le travail » est déjà possible, via la « circulaire Valls ». La personne étrangère doit faire une demande d’« admission exceptionnelle au séjour » et présenter les conditions suivantes :
- Posséder un contrat de travail ou une promesse d’embauche
- Résider en France depuis 5 ans ou plus et avoir travaillé 8 mois sur les 2 dernières années, ou 30 mois sur les 5 dernières années. Si elle ne réside en France que depuis 3 ans, il faut justifier d’avoir travaillé pendant 24 mois, dont 8 dans les 12 derniers mois
- Avoir un niveau minimum en Français
Même si ces conditions sont remplies, l’obtention d’un titre de séjour est à l’appréciation du préfet de département, ce qui occasionne des disparités de droits au sein du territoire national, sans compter de potentielles disparités au sein du même département, selon les nationalités.
Ce qui est prévu dans le projet de loi : Création d’un titre de séjour délivré de plein droit, donc de manière automatique, si la personne remplit les conditions suivantes :
- Avoir travaillé pendant au moins 8 mois sur les 12 derniers mois, dans un métier d’un secteur dit « en tension »
- Être présent sur le territoire depuis 3 ans
Cette mesure serait expérimentale, avec un bilan fin 2026. La liste des métiers en tension serait fixée par décret. La demande de titre serait faite directement par la personne étrangère, sans passer par l’employeur. Ce titre de séjour temporaire ne donnerait pas droit au regroupement familial, et ne serait pas ouvert aux personnes ayant travaillé en tant qu’étudiant, saisonnier ou demandeur d’asile. Si, au bout d’un an, la personne a obtenu un CDI, elle devrait pouvoir obtenir un titre de séjour salarié.
Questionnements et analyse : même si toutes les possibilités de régularisation sont en soit positives, celle-ci relève d’une vision purement utilitariste de l’accueil des étrangers. Ils ne sont autorisés à travailler et résider en France que s’ils acceptent d’occuper un emploi en manque de personnel, donc que les Français ne souhaitent pas faire.
Doit-on parler de « régularisation par le travail », ou de « régularisation par l’exploitation provisoire » ?
Cette proposition institutionnalise une aberration kafkaïenne : aujourd’hui, il faut apporter la preuve d’avoir travaillé illégalement pour pouvoir ÉVENTUELLEMENT être autorisé à travailler légalement. Avec cette proposition, le travail illégal deviendrait une CONDITION IMPOSÉE pour accéder au droit de travailler.
De même l’interdiction de regroupement familial et l’interdiction d’accès à certaines catégories d’étrangers reposent clairement sur une volonté de non-intégration et non accueil des étrangers.
Ce projet pose aussi plusieurs questions sur ses limites et sa fiabilité : que se passerait-il si le métier exercé sort de la liste des métiers en tension ? L’intérim serait-il pris en compte ? Lors de la présentation initiale du projet, M. Dussopt a indiqué que cela devrait permettre de régulariser « plusieurs dizaines milliers de personnes ». Devant les critiques de la droite, il a rectifié en annonçant que cela n’en concernerait que « quelques milliers ». Dans les faits, la liste des métiers en tension doit faire l’objet d’une mise à jour et n’est pas encore définie. Donc si l’hôtellerie, ou la restauration, par exemple, n’y figurent pas, cela ne pourrait concerner que quelques centaines, voire dizaines de personnes. Il est en fait, à ce stade, impossible d’évaluer le nombre de bénéficiaires potentiels.
Ce projet de nouveau titre de séjour, présenté comme une avancée pragmatique, semble en réalité vouée à l’échec. Refusée par la droite et l’extrême-droite, qui y voient de manière erronée une mesure laxiste et un risque d’« appel d’air », le gouvernement n’aurait vraisemblablement pas de majorité sur cette proposition. Au mieux, ou au pire, il risque d’être vidé de sa substance : pour le rendre « acceptable » aux yeux de la droite, le gouvernement risque d’en durcir encore les conditions d’accès, au point de le rendre inopérant, et le bilan à la fin de l’expérimentation montrera que cela n’aura permis que de régulariser quelques dizaines de personnes…
Autre hypothèse : comme le souhaitait initialement Mme Borne, cette proposition va être supprimée du projet de loi et le gouvernement va se contenter d’un décret élargissant ou précisant les conditions de l’admission au séjour exceptionnel, par le travail, qui permet déjà de régulariser environ 7000 personnes chaque année… mais qui reste un mode de régularisation arbitraire et inégal au sein du territoire.
Des dispositifs de régularisation des sans-papiers sont pourtant nécessaires et ne doivent pas se limiter à des régularisations par circulaires. Pour être juste et digne, il faudrait inscrire dans la loi des critères de régularisation basés sur des éléments de vulnérabilité, et pas uniquement des critères professionnels.
Article 4 : Accès au travail pour certains demandeurs d’asile
Situation actuelle : Depuis la loi asile de 2018 appliquée en 2019, Les demandeurs d’asile en cours de procédure peuvent obtenir une autorisation de travail si, au bout de 6 mois de procédure contre 9 mois avant, ils n’ont pas encore eu leur premier entretien d’asile à l’OFPRA.
Dans les faits, ça n’a concerné, en 2022, que 1,1% des demandeurs d’asile. En effet, sur les 103 000 demandeurs, 4250 ont pu faire une demande et les Préfectures n’ont accordé ce droit que pour moins d’un tiers des demandes, soit 1143 personnes.
Ce qui est prévu dans le projet de loi : L’accès à l’autorisation de travail serait accordé dès le début de la procédure mais uniquement aux demandeurs originaires de pays avec un taux de protection “fort”, dont le seuil serait fixé par décret.
Questionnements et analyse : La détermination du seuil en question aurait un impact fort sur le nombre de personnes concernées.
Par exemple : Si le taux retenu est à 75%, en se basant sur les chiffres de 2021, cela ne concernerait que la Chine et la Syrie, soit 2000 personnes au total. Si le seuil est fixé à 70%, se rajoute l’Afghanistan (10 000 pers.) et le Soudan du Sud (30 pers.). Si le seuil est fixé à 60%, se rajoute l’Érythrée (1000 pers.) et la Jamaïque (16 pers.). Si le seuil est fixé à 50%, cela concernerait environ 14500 personnes.
Pour certains pays le taux varie fortement entre les sexes… Si le seuil est fixé uniformément à 75%, les 1300 femmes afghanes en seraient exclues, alors qu’elles ont un taux d’accord de 92%.
Accorder des droits à certaines nationalités, sans tenir compte des situations individuelles, pose la question de la discrimination par nationalité… ce qui constitue un véritable paradoxe : certaines personnes font des demandes d’asile parce qu’ils sont discriminés dans l’accès à l’emploi dans leur pays d’origine, à cause de leur nationalité, ethnie ou genre.
Le Sénat n’est pas revenu sur la proposition, mais a soulevé plusieurs éléments : certains ont, comme d’habitude, évoqué le risque d’appel d’air (malgré le nombre réduit de personnes potentiellement impactées), et les difficultés à « éloigner » les demandeurs d’asile en emploi, si ces derniers sont finalement déboutés dans leur demande. Il a également été soulevé le fait que les employeurs potentiels pourraient se retrouver dans l’illégalité si le demandeur d’asile débouté ne l’informe pas de sa situation.
Cette mesure semble poser plusieurs soucis de mise en œuvre et être potentiellement discriminante. Il semblerait plus juste et équitable que, si un droit au travail est accordé aux demandeurs d’asile, il doit l’être pour tous, sans discriminations et dès l’enregistrement de la demande d’asile.
Article 5 : Conditionner le statut d’auto-entrepreneur à la preuve de la régularité du séjour – supprimé par le Sénat
Situation actuelle :
Le Sénat a considéré que la proposition n’était pas utile, la législation actuelle précisant que la validité du titre de séjour était déjà inscrite dans la législation pour les auto-entrepreneurs.
Article 6 : Réformer les passeports « talent »
Situation actuelle : le « passeport talent » est une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans, délivrée à certains demandeurs, dont la résidence en France constitue un atout économique pour le pays (jeunes diplômés salariés, chercheurs, artistes, investisseurs économiques… 11 catégories en tout).
Ce qui est prévu dans le projet de loi : fusionner certains types de « passeport talent » en un titre de séjour : « Talent porteur de projet ».
Article 7 : Création d’une carte de séjour « talent professions médicales et de la pharmacie »
Ce qui est prévu dans le projet de loi : création de 2 cartes de séjour pluriannuelles, pour les praticiens ayant un diplôme hors UE, afin de leur donner une autorisation d’exercice provisoire.
Certains analysent cette mesure comme un vol de compétences des pays du sud.
Article 8 : Amende administrative pour les employeurs d’étrangers sans-papiers – supprimé par le Sénat
Ce qui est prévu dans le projet de loi : ajout d’une sanction administrative (4000€ par employé) pouvant être délivrée par les Préfectures et administrée dès le contrôle sur le terrain de l’emploi de personnes en situation irrégulière. Le Sénat a supprimé cet article, considérant que les sanctions administratives existantes étaient déjà possibles.