Illustrons la situation actuelle par un cas concret
Une personne étrangère qui se trouve à Quimper et souhaite déposer une demande d’asile. Elle aura un premier rendez-vous à la « SPADA », plateforme de premier enregistrement de la demande, puis quelques jours plus tard un autre rendez-vous à la Préfecture de région, à Rennes. Lors de ce 2e rendez-vous, elle aura un premier temps purement administratif, au terme duquel il lui sera délivré un titre de séjour provisoire (valable uniquement pour le temps de la procédure). Elle aura aussi un entretien avec les services de l’OFII, organisme en charge de lui proposer les « Conditions matérielles d’accueil », à savoir un logement et une allocation mensuelle.
Pour rappel, la moitié seulement des personnes se voient proposer un logement, et l’allocation représente une somme de 210€ par mois. Si aucun logement n’est accordé à la personne, son allocation est augmentée pour passer à 460€… ce qui est évidemment totalement insuffisant pour payer un loyer et se nourrir.
À la suite de son passage en Préfecture elle devra envoyer, par courrier et sous 21 jours, son « récit de vie », c’est-à-dire expliquer par écrit et en français son parcours et les raisons de sa demande de protection. Elle sera ensuite convoquée dans les locaux de l’OFPRA, à Fontenay-sous-Bois, quelques semaines ou quelques mois plus tard, pour un entretien qui lui permettra d’expliquer oralement sa demande. Elle recevra la réponse quelques semaines ou mois plus tard, et si sa demande est refusée elle aura encore la possibilité de déposer un recours, devant la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile), où elle pourra être assistée par un avocat. L’audience à la CNDA sera là encore quelques mois plus tard, et se déroulera à Montreuil.
Même si les délais sont de plus en plus réduits, il est rare qu’il se passe moins de 4 à 6 mois entre le premier enregistrement et le passage à l’OFPRA, et ensuite l’éventuel délai de recours à la CNDA ajoute plusieurs mois. Les différents allers-retours représentent près de 3000 km.
Cet exemple concret démontre que la procédure de demande d’asile engendre des délais et des déplacements qui ne sont bénéfiques ni pour les demandeurs d’asile ni pour les organismes en charge de sa situation. Réduire les délais et les déplacements semble donc une mesure pragmatique, mais elle ne doit pas se faire au détriment de la qualité de l’étude de la situation, ce qui est clairement le risque introduit par les mesures annoncées.
Les « pôles asile » seraient amenés à se déployer progressivement, avec pour particularité que l’OFPRA aurait aussi des agents dans ses « Pôles Asile », à priori dans les locaux de la Préfecture, et qu’ils puissent enregistrer la demande, recueillir le récit de vie, et potentiellement effectuer l’entretien d’examen, en visio-conférence.
Cela permettrait dans doute d’accélérer les procédures, mais avec plusieurs biais potentiels.
- D’abord, il faut rappeler que l’OFPRA a ou est censé avoir, une indépendance fonctionnelle vis-à-vis de l’État. Regrouper ses locaux dans les Préfectures peut raisonnablement laisser craindre une volonté du ministère de l’Intérieur d’une forme de mise sous tutelle.
- Ensuite, cela induit que le demandeur n’aura plus le délai de 21 jours pour rédiger et expédier son « récit de vie », il devra le faire le jour même de son enregistrement. Ce délai de 21 jours n’est pourtant pas négligeable, n’importe quel accompagnant d’un demandeur d’asile, qu’il soit travailleur social ou bénévole, sait que les personnes, quand elles arrivent sur le territoire national, ont besoin de « se poser », peuvent être encore victime de stress post-traumatique. Cette réduction du premier délai est donc potentiellement négative pour la qualité de la prise en compte de leur situation.
- Il est aussi à craindre une multiplication des entretiens d’examen de la demande en distanciel, ce qui sera toujours moins efficace qu’en présentiel.
- D’un point de vue plus global, on peut s’interroger sur le signal envoyé aux demandeurs d’asile, en rassemblant dans les mêmes locaux les organismes d’État en charge d’enregistrer les demandes, fournir les allocations et le logement, délivrer les avis d’éloignement et examiner la demande de protection…
Concernant la phase de recours à la CNDA, il est prévu la possibilité d’ouvrir des chambres territoriales (à priori dans les cours d’appel régionales).
Actuellement la norme est de statuer en formation collégiale avec un représentant du HCR, et statuer avec un juge unique est l’exception (même si ça représente déjà une part non négligeable). La loi inverse les choses : le juge unique devient la norme et la formation collégiale l’exception. Il est plus difficile d’appréhender la portée de ce changement : les statistiques actuelles semblent montrer que le taux d’accord d’une protection ne varie quasiment pas, entre la formation collégiale et le juge unique, mais l’inversion des normes peut en engendrer une.
Il est essentiel d’avoir conscience que la procédure de demande d’asile, sous sa forme actuelle, n’est déjà pas une procédure « laxiste ». Les personnes ayant une expérience de terrain le constatent : quand un étranger obtient une protection, c’est que sa situation le justifie. Quand un étranger n’obtient pas de protection, cela ne veut pas forcément dire qu’il ne le « mérite pas », cela peut aussi juste signifier qu’il ou elle n’a pas pu apporter les preuves de la dangerosité de sa situation.
Contrairement à ce que veulent laisser croire certains, NON, les associations d’aide aux exilés n’aident pas les étrangers à « mentir » pour obtenir le droit d’asile. Un mensonge serait, dans tous les cas, démonté par les services de l’OFPRA, qui vérifient TOUS les éléments apportés par les personnes.
Les bénévoles et intervenants sociaux qui accompagnent les demandeurs d’asile ne font qu’une chose : aider les personnes à constituer leur dossier. Cela peut prendre des formes très diverses : aider à prendre rendez-vous chez un gynécologue pour faire constater l’excision, chez un médecin légiste pour faire constater les blessures, trouver un traducteur assermenté pour les documents, préparer en amont pour l’entretien à l’OFPRA (tout comme n’importe quelle personne se prépare à un entretien d’embauche), aider à trouver un avocat pour la CNDA, etc.
Toutes ces aides permettent juste le respect des droits.
Or toutes les nouvelles dispositions de la loi peuvent avoir pour effet de réduire ces possibilités d’accompagnement, avec pour conséquence d’arriver à une dégradation de la procédure d’asile, donc une réduction du nombre de personnes qui accèdent à une protection, alors que leur situation le justifie.
N’oublions pas que chaque année, le droit d’asile permet, en France, de protéger des dizaines de milliers de personnes. En 2022, par exemple, ce sont 24 300 hommes, 17 800 femmes, et 14000 enfants qui ont obtenu une protection dans notre pays.
Toutes ces personnes ont PROUVÉ qu’elles seraient en danger si elles devaient retourner dans leur pays.
Si les nouvelles dispositions de la loi occasionnent une dégradation de la procédure et font baisser le taux d’accord d’une protection, ne serait-ce que de quelques pourcents, ce seront plusieurs centaines, voire milliers de personnes, que la loi mettra en danger, et il sera trop tard pour revenir en arrière.

En conclusion, il est frappant de constater que cette énième réforme de la loi n’a pas été construite de manière pragmatique, les législateurs des différents courants politiques étant plus animés d’objectifs électoralistes et populistes que par la volonté d’une co-construction d’une réelle politique d’immigration et d’intégration, respectueuse de nos valeurs républicaines.
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